Énergies renouvelables : un entretien avec David ten Kroode
A la mi-2014, David ten Kroode, spécialiste en financement des énergies renouvelables, rejoignait Oikocredit afin de développer et de gérer ce qui était alors un nouveau secteur pour la coopérative : le financement de projets d’énergies renouvelables en Afrique, en Asie et en Amérique latine. David est aujourd'hui Directeur du département des énergies renouvelables de Oikocredit. Nous l’avons rencontré et avons discuté avec lui des développements des cinq dernières années et des évolutions futures.
Où en sont les investissements d’Oikocredit dans le domaine des énergies renouvelables ?
Nous avons commencé à investir dans les énergies renouvelables il y a cinq ans. Notre portefeuille de prêts et d'investissements dans ce secteur s’élève aujourd'hui à plus de 50 millions d'euros, soit environ 5% de notre portefeuille total de financement du développement. Notre portefeuille Énergies renouvelables (RE) conjugue des projets d'infrastructure à grande échelle et des investissements dans des petits projets hors réseau.
Pour ces derniers, nous nous concentrons principalement sur l'amélioration de l'accès à l'énergie, que l’on appelle également « lutte contre la pauvreté énergétique ». Nombreuses sont les populations qui n'ont pas l'électricité ou pour lesquelles l’accès au réseau énergétique s’avère trop coûteux. Certaines ont l'électricité mais occasionnellement et la payent particulièrement cher. Imaginez que vous vivez au Rwanda et que vous voulez recharger votre téléphone mais que vous n'ayez pas accès à l'électricité, vous devrez vous rendre dans le village le plus proche équipé d’un générateur diesel. Le coût de cette électricité est 30 à 50 fois plus élevé qu'en Europe. De plus, l'argent que vous dépenserez pour l'électricité ne sera pas utilisé pour autre chose. Enfin, le téléphone est un outil essentiel pour effectuer des petits paiements par exemple.
Nous avons d’abord financé de grands projets d'infrastructure connectés au réseau électrique national. Par exemple, nous avons investi au Honduras dans une ferme solaire de 50 mégawatts qui fournit de l’électricité à 10’000 ménages. Aujourd'hui, nous nous orientons de plus en plus vers des investissements hors réseau, c’est-à-dire à destination de personnes ou de petites entreprises qui n'ont pas accès au réseau électrique et auxquelles nos partenaires proposent une solution sous forme d’installations domestiques.
Pourquoi avoir pris ce virage vers des projets hors réseau ?
Nous avons évalué les projets que nous avons démarrés il y a cinq ans. Ces grands projets sont particulièrement intéressants sur le plan macro-économique, àla fois pour un pays (baisse des importations de combustibles fossiles ou d'électricité) que pour l'environnement (réduction des émissions de C02). Mais nous avons également cherché quelles étaient vraiment les populations bénéficiaires de ces projets et nous avons constaté qu’on peut construire de grands projets d'infrastructure sans que les populations les plus proches ne profitent de l'électricité produite.
Par ailleurs, les projets à grande échelle bénéficient des financements des investisseurs institutionnels internationaux. La question se pose alors de la valeur ajoutée d'Oikocredit. L'impact sur l'environnement est important mais ce n'est pas notre seul moteur. En fait, tous nos projets sont évalués en fonction de critères environnementaux. Mais si un projet ne fait que réduire les émissions de CO2 sans avoir d’impact positif sur la communauté, nous ne le financerons pas.
Selon vous, comment les choses vont-elles évoluer à l’avenir ?
Je pense que nous allons assister à une fusion plus grande entre le réseau et le hors réseau. Les « mini-réseaux » en sont un bon exemple. Il s'agit de réseaux électriques à l'échelle d'un village ou d'une petite ville qui ne sont pas connectés à un réseau national. Par exemple, des ménages ainsi que des petites entreprises équipées de machines pourront être connectés à un champ de panneaux solaires de la taille d'un demi-terrain de football.
Comment une organisation d'énergies renouvelables qui a besoin d'investissements peut-elle devenir partenaire d'Oikocredit ?
Il existe plusieurs moyens. Oikocredit a une longue histoire et est bien connue. En cherchant sur Internet, un entrepreneur en énergies renouvelables a de bonnes chances de nous trouver. Nos collègues dans la région nous signalent également des projets. Et nous disposons d'un bon réseau d'institutions financières partageant nos idées et désireuses de co-investir dans des projets avec nous.
Comment les demandes de financement parviennent-elles jusqu’à Oikocredit ?
Laissez-moi vous donner un exemple. Nous étudions actuellement la possibilité de financer des mini-réseaux au Bénin à travers un partenaire potentiel travaillant sur un projet de fourniture d'électricité à 20 villages. Je suis tombé sur cette organisation lors d’une visite chez un autre partenaire au Ghana.
Je suis donc rendu au Bénin et j'ai visité les villages dans lesquels les mini-réseaux seront construits. Même si vous faites des recherches approfondies derrière votre ordinateur, il est important d’aller sur place pour voir l'environnement réel du projet. Ce qui m’a frappé, c'est la diversité des activités économiques dans ces villages, comme par exemple refroidir le poisson et moudre le grain, et tout cela sans électricité ! Nous avons la conviction que, grâce à l'électricité, le développement de ces villages connaîtra un essor important. Cela va au-delà du simple fait de disposer d’un éclairage la nuit. Parce que les revenus de la communauté vont également augmenter et nous ne pourrons le constater qu'en étant sur place.
Jusqu’à quel point est-ce important d’avoir une présence locale ?
Dans les pays où elle est présente, Oikocredit dispose souvent d'un bureau local ce qui est indispensable car on ne peut pas tout comprendre ni tout analyser à distance : on doit se faire une idée de ce qui se passe sur place. Lorsque je rends visite à un partenaire potentiel, je reviens toujours avec des constatations, positives et négatives, que je n'aurais pas pu imaginer. Je pourrais, par exemple, découvrir un risque plus important ou, au contraire, constater qu’un risque qui semblait important sur le papier ne l'est pas autant dans la pratique.
Y a-t-il des pays où l'évolution est plus rapide ?
Absolument. Dans de nombreux pays africains, vous pouvez constater un retard du fait du peu d'infrastructures électriques existantes. De très nombreuses personnes n'ont pas du tout accès à l'électricité. Et c'est précisément dans ces pays que le développement des mini-réseaux est en plein essor.
En Afrique, on propose des installations solaires domestiques grâce à un système de prépaiement selon lequel les gens paient pour l'utilisation sur une certaine période. Tout cela est possible grâce aux paiements mobiles. Et grâce aux progrès technologiques, les installations d'énergie renouvelable sont désormais moins onéreuses et plus efficaces. Le financement des installations domestiques et des mini-réseaux présente un risque légèrement plus élevé, mais la rentabilité sociale est bien meilleure. Nous devons trouver l’équilibre. C’est pourquoi nous surveillons de près aussi bien la rentabilité financière que le rendement social que les investisseurs attendent.
On observe ces évolutions dans le domaine des énergies renouvelables surtout en Afrique et c’est la raison pour laquelle nous y investissons actuellement. C’est moins le cas en Amérique latine.
Quel est l'impact de la pandémie sur les partenaires en énergies renouvelables d'Oikocredit ?
Actuellement, Oikocredit s’emploie à soutenir tous ses partenaires au niveau de leurs plans de continuité opérationnelle, de l'analyse de scénarios et de la gestion de la trésorerie. Ce faisant, nous espérons aider nos partenaires du secteur des énergies renouvelables à relever les défis commerciaux soulevés par la pandémie de Covid-19 et à continuer d’offrir leurs services énergétiques à leurs clients. Nous coordonnons autant que possible notre action avec celle d'autres investisseurs à impact dans le but d’aider nos partenaires.
L'évolution se fait à un rythme soutenu. Je constate qu'il existe des risques spécifiques pour nos partenaires du secteur des énergies renouvelables. Parmi ceux-ci, les fournisseurs d’installations pourraient fermer leurs usines. Un autre est que les clients n’aient plus de revenus et n’aient plus les moyens de payer leur énergie.
Dans le même temps, des entreprises nous disent que la production de panneaux solaires est déjà en train de redémarrer. Par ailleurs, surtout en ces temps de crise, les ménages africains continuent de payer leur énergie solaire parce qu'ils veulent avoir l’accès à l’information par le biais des téléphones portables, de la radio et de la télévision. Tout n'est donc pas entièrement négatif.