Rencontre de deux actrices de la finance solidaire
En marge de Convergences, Mariam Dao Gabala, représentante d’Oikocredit pour Afrique de l’Ouest, a rencontré des femmes de l’association internationale « 100 women in hedge funds ».
Nous avons pu interviewer Mariam et Joanna Thompson, co-fondatrice de l’antenne française de «100 women in hedge funds».
Joanna, pourriez-vous nous dire ce qu’est « 100 women in hedge funds » ?
« 100 women in hedge funds » est une association fondée il y a plus de 12 ans aux Etats Unis, comptant 12 000 femmes dans le monde qui travaillent dans la gestion alternative et dont les 3 piliers sont :
- permettre la rencontre au sein d’un réseau
- promouvoir l’échange des idées et la formation de nos membres
- donner à des femmes moins privilégiées que nous
C’est dans cette optique que nous sommes intéressées à rencontrer Mariam Dao Gabala.
Mariam, pourriez-vous nous dire pourquoi vous êtes à Paris en ce moment et pourquoi est-ce important pour vous ?
Je suis venue pour participer au Forum Mondial Convergences qui nous permet de nous poser des questions sur les enjeux, les opportunités ou les développements futurs de la microfinance et de l’entrepreneuriat social dans le monde. Donc c’était important pour moi, en tant qu’actrice sur le terrain, de venir participer à ce forum et d’apporter aussi ma contribution par rapport à la manière dont nous voyons des opportunités sur le terrain.
C’est aussi l’occasion pour moi de rencontrer des femmes qui sont dans la finance à un autre niveau.
Qu’attendez-vous à votre tour de cette rencontre avec Joanna et l’association « 100 women in hedge funds » ?
Mariam Dao Gabala : D’abord partager avec elle mon expérience. Je suis une femme qui travaille dans la finance depuis plus de 20 ans mais dans « de l’autre côté ». Il y a le côté des investisseurs (celui de Joanna) et puis il y a mon côté, celui où l’on reçoit les investissements et les orientons pour qu’ils aient un impact.
En tant que femmes dans un monde vraiment masculin nous avons des enjeux et des défis assez particuliers. Et je veux en parler aujourd’hui : le défi de pouvoir investir par exemple pour aider à l’autonomisation des femmes sur le terrain. Parce que si nous ne le faisons pas, n’attendons pas que d’autres personnes le fassent. Tout ce que nous avons reçu c’est l’occasion pour nous de le partager. C’est ce type de relation et d’échange que je trouve très intéressant.
L’impact de la microfinance auprès des populations les plus exclues est régulièrement remis en question. Quels sont les modèles économiques mis en place et les pratiques promues par Oikocredit en Afrique de l’Ouest pour améliorer les conditions de vie des populations les plus fragiles ?
Mariam Dao Gabala : Je pense que ce n’est pas remis en question. On ne peut pas s’adresser à des populations pauvres comme on s’adresserait à des populations de classe moyenne. Je donne un exemple très simple : on critique beaucoup la microfinance mais pourquoi la microfinance a tant d’emprise dans les pays en développement ? Parce que la microfinance a été créée pour les personnes pauvres. Nos pays comptent 49% de pauvres. La finance classique, la banque classique, a été développée pour gérer les classes moyennes. Chez nous il n’y a quasiment pas de classe moyenne, donc évidemment la finance classique ne peut pas marcher. Il faut pouvoir mettre la finance à disposition des personnes démunies. C’est pour cela que la microfinance fonctionne.
Autant il y a des dérives dans la finance classique, autant il y a des dérives dans la microfinance. Il faut pouvoir les corriger mais garder à l’esprit que l’impact que cela a eu sur les individus a été extraordinaire. Je prends l’exemple des femmes : la microfinance leur a donné une indépendance incroyable, cela a permis aux hommes de les voir, de les regarder autrement. Non pas simplement comme des bénéficiaires mais aussi comme des contributeurs. Ça a ouvert les femmes à plus d’expression car maintenant elles peuvent dire ce qu’elles pensent.
On a mis en places plein de programmes de développement démocratique, mais vous ne pouvez pas développer cette démocratie si les gens ne se sentent responsables d’eux-mêmes et ne se sentent pas capables d’apporter quelque chose. Et donc, si nous regardons aussi sous cet angle l’impact qu’a eu la microfinance sur la société, nous devenons moins critique. Les gens disent des taux en microfinance qu’ils sont trop élevés, un point c’est tout. Oui, mais c’est parce qu’ils ne savent pas comment se fixe un taux d’intérêts. Nous avons l’inflation, le coût de l’argent est élevé, le coût des opérations est élevé, on ne peut pas être moins cher que la banque, ce n’est pas possible. La microfinance ne va pas au-delà des principes économiques essentiels. Elle les adapte simplement à la population. C’est tout.
« 100 women in hedge funds » et Oikocredit ont en commun la volonté d’accompagner les populations en matière d’éducation, de renforcement des capacités. Pourquoi est-ce si important, en particulier pour les populations féminines ? Quelles principales difficultés rencontrez-vous ?
Joanna Thompson : Je crois que c’est important pour les populations féminines d’abord parce qu’on est la majorité de la population mondiale. Et les femmes ont été empêchées jusqu’à présent. Quelles sont les difficultés : je dirais entre autres que c’est l’attitude des femmes elles-mêmes. On a tous vu la femme qui dirige Facebook. Elle disait qu’il il y a 3 principes : il faut que vous demandiez à participer en tant que femmes, il y a beaucoup de femmes qui ne demandent pas parce qu’elles n’ont pas confiance en elles. Deuxièmement, il faut participer pleinement, il faut être soutenu par son entourage, que ce soit son mari, sa famille, ses collègues. Et puis troisièmement, il faut rester impliqué jusqu’à ce que vous obteniez ce que vous vouliez. La femme est multidimensionnelle : on a la famille, les enfants, notre travail, la santé, on a tellement de choses différentes qui nous tirent que l’on ne se donne pas suffisamment à soi-même. Il faut se faire confiance et essayer.
Mariam Dao Gabala : C’est en effet important car quand vous regardez les statistiques les femmes sont les plus nombreuses mais en même temps elles sont les plus marginalisées. 70% des pauvres sont des femmes. Donc ça veut dire qu’elles ont besoin d’attention, elles ont besoin qu’on leur donne ce à quoi elles ont moins facilement accès, notamment l’éducation, les ressources financières… en fait c’est rétablir une certaine justice et une certaine équité que de mettre les femmes au centre. Mais pour une raison très simple aussi : quand les femmes sont impliquées cela amène beaucoup plus de stabilité dans les familles. Et quand il y a plusieurs familles qui sont stables c’est toute une économie locale qui se stabilise.
Comment voyez-vous l’avenir de la finance solidaire ?
Mariam Dao Gabala : pour moi l’avenir de la finance solidaire est assuré. Je suis dans ce métier avec Oikocredit depuis plus de 20 ans, et à partir de 2008 je me suis dit « oui, la finance solidaire dans son ensemble a de l’avenir ! ». Parce que le monde est en train de se rendre compte que quand on finance il ne faut pas seulement rechercher l’impact financier, il faut aussi rechercher un impact social. C’est comme ça qu’on peut faire évoluer cette société. Et pour moi le champ est ouvert, les développements sont là, l’innovation arrive.
Joanna Thompson : Et du point de vue de la finance classique, je crois que c’est aussi important que nous puissions apporter nos compétences, nos exigences, nos analyses, et nos approches de la finance pour compléter et pour aider cette finance solidaire à avoir non seulement un but solidaire mais également un impact économique durable.